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La préparation mentale en escalade : interview de Jonathan Bel Legroux

Le mental en escalade, beaucoup de grimpeurs et de grimpeuses sont convaincus de son importance capitale pour progresser mais peu savent l’utiliser.

Dans cette interview de Jonathan Bel Legroux, préparateur mental qui accompagne de nombreux grimpeurs de haut niveau, découvrez comment la préparation mentale peut vous aider à mieux contrôler vos émotions en escalade et améliorer vos performances.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Jonathan Bel Legroux, j’habite Paris et je suis papa de deux enfants. Je suis grimpeur depuis 20 ans, je suis éducateur sportif et je fais de la préparation mentale depuis presque 15 ans. Je m’intéresse notamment à tout ce qui peut amener les gens à devenir meilleurs dans ce qu’ils aiment, sur le plan mental notamment. J’ai aussi écrit deux livres dont le dernier est L’incontournable de l’autohypnose.

Jonathan Bel Legroux

Selon toi, quelle est la part du mental dans la performance en escalade ?

Je me souviens avoir entendu à l’université que 80 % d’une performance était mentale. Aujourd’hui, je sais que 100 % d’une performance est mentale parce que c’est depuis la tête que le mouvement athlétique est envoyé, dans la tête qu’il est coordonné, conditionné et piloté. Autrement dit, on pourrait dire que tout est mental dans l’escalade : la conceptualisation d’un mouvement dans l’espace, la réalisation de ce mouvement avec le minimum de stress possible et le minimum d’appréhension, le moins de tâches cognitives possible. Tout cela se coordonne dans la tête pour accélérer la prise de décision.

Donc le mental a une part très importante en escalade.

La préparation mentale est-elle utile pour les grimpeurs et grimpeuses non professionnel.les et qui n’ont pas d’objectifs en compétition ?

Un grimpeur amateur n’est-il pas en compétition contre lui-même lorsqu’il tente une cotation qu’il n’a jamais faite ? Un grimpeur amateur n’est-il pas en train d’essayer de repousser une limite lorsqu’il change de couleur de bloc ou d’inclinaison de mur ?

L’escalade est un sport qui nous propose d’être performant en dehors du contexte compétitif et ce sont deux choses qu’il faut séparer.

D’une part, la performance qui peut être réalisée tout au long de la vie dans ce magnifique sport qu’est l’escalade. Et grimper un 6a à 80 ans est une performance incroyable.

D’autre part, la compétition qui est la performance à l’instant T, un jour J. On peut être performant un peu tout le temps, mais en compétition, il faut être performant à l’instant T.

Et pour pouvoir être performant un peu tout le temps, bien sûr que le mental est nécessaire. Par exemple, quelqu’un qui veut progresser alors qu’il ne fait que du bloc en salle par exemple, a intérêt à avoir des pics de performance. Et pour cela, pouvoir se soustraire du regard des autres, de ses attentes, du stress, de ses appréhensions pour pouvoir atteindre ce niveau de performance et progresser, même s’il est amateur.

Beaucoup de grimpeurs pensent que la peur de la chute est indissociable de la pratique de l’escalade. D’autres font régulièrement des écoles de vol pour tenter de la dompter. Est-il réellement possible de dépasser cette peur ?

Pendant longtemps j’aurais dit qu’on ne peut pas se soustraire de cette peur. Mais il y a quelques personnes qui viennent confirmer le contraire, par exemple Alex Honnold.

Aujourd’hui, la plupart des grimpeurs de très haut niveau avec lesquels je travaille au quotidien ont peur de la chute.

La peur de la chute n’est pas à dissocier de l’escalade car l’escalade est une activité à risque (mais pas une activité dangereuse). Le risque peut être social, par exemple le regard des autres. Il peut être physique, par exemple se faire mal en chutant dans un dièdre. La peur de la chute peut être la face visible de ces autres peurs plus primaires qui sont derrière. Autrement dit, la peur de la chute est saine, elle protège. Mais elle ne nous dit pas quelle est la conséquence de la chute que nous sommes en train d’imaginer. Et les conséquences il y en a toujours : refaire l’effort, assumer l’échec, peut-être se faire mal. Et ce sont ces craintes-là qu’il faut questionner.

Sans la peur, l’escalade ne serait pas l’escalade. Est-il vraiment utile de dissocier l’escalade de la peur ? Je suis convaincu que non.

Par contre il est important que ce ne soit pas la peur qui nous fasse grimper ou nous retienne, quel que soit notre niveau de pratique, que l’on grimpe sur du rocher ou des murs artificiels. Il est important que ce soit nous qui maîtrisions nos peurs et pas l’inverse.

Alex Honnold en solo intégral - Photo : Jimmy Chin, National Geographic
Alex Honnold en solo intégral - Photo : Jimmy Chin, National Geographic

On parle beaucoup du travail sur les peurs en préparation mentale. Se retrouver face à face avec ses peurs et ses pires expériences pendant les sessions d’entraînement mental peut freiner. Que peux-tu dire aux grimpeurs qui n’oseraient pas se lancer dans ce travail, consciemment ou non ?

La première chose à faire c’est de comprendre que sans la peur, le courage n’existerait pas. Le courage n’existe que parce que la peur existe, comme deux faces d’une pièce. Autrement dit, lorsqu’on a peur, on vient de recevoir une invitation à être courageux. C’est déjà une bonne chose.

La deuxième chose c’est que je ne pousserais pas quelqu’un à aller en situation de peur. Par exemple, les écoles de vol font rarement des résultats miraculeux. Aujourd’hui on le sait, elles font plutôt des résultats désastreux. Oriane Bertone elle-même en parle lors de sa conférence au Grand Rex en mai 2024. Elle évoque des souvenirs mémorables d’école de vol que son père lui a fait vivre, et qui aujourd’hui font qu’elle n’est pas tout à fait sereine sur corde. Autrement dit, l’école de vol et l’exposition à la peur, même de manière volontaire, viennent choquer plus qu’aider. Il faut plutôt choisir l’approche de l’exposition progressive et sécurisante.

Et au-delà de cette méthodologie, se questionner sur ce qui donne réellement envie d’affronter sa peur. Notre mental a besoin d’un objectif derrière, de quelque chose qui le motive à aller au-delà. S’il n’y a rien qui motive, il n’y a pas de raison de dépasser une peur, pas de raison d’avoir du courage. Par contre, s’il y a de quoi être motivé, il faut se demander pourquoi est-ce que je veux aller dans ce bloc qui me fait peur ? Pour quoi faire ? Pour être quoi après ? Et si j’ai ces réponses-là, souvent la peur commence déjà à diminuer.

Pendant combien de temps faut-il s’entraîner à répéter un exercice mental pour voir un résultat ?

Souvent, les résultats se voient très vite dans les séances sur les émotions parce qu’elles utilisent l’hypnose ou l’autohypnose.

Un travail cognitif de gestion de routine ou de gestion des pensées demande un peu de régularité, souvent sur 2 à 3 semaines.
Pour un travail plutôt introspectif autour de la motivation, de la fixation d’un plan sur le long terme autour d’une progression, il faut une bonne semaine d’introspection et y consacrer un peu de temps chaque jour.

Il y a aussi des techniques qui peuvent prendre moins de 2 secondes. Certaines techniques d’autohypnose, une fois répétées, peuvent facilement se mettre en place en moins de 2 secondes. Il y a des techniques de respiration qui prennent moins de 2 minutes. On prend du temps lorsqu’on apprend de nouvelles techniques, mais une fois apprises et répétées, elles deviennent accessibles et utilisables en très peu de temps. Elles deviennent du coup de vrais outils pour répondre aux besoins du grimpeur, qu’importe son niveau.

Quand peut-il être intéressant de se faire accompagner par un préparateur mental en séances individuelles ?

Je vois deux cas de figure.

Le premier, c’est lorsqu’on a déjà appris et testé des techniques par soi-même, qu’on tourne en boucle et qu’on n’a pas trouvé la solution. Le préparateur mental peut alors être une bonne solution puisqu’il va permettre une prise de recul pour aller voir s’il n’y a pas un travail de fond à effectuer sur lequel il pourra vous accompagner.

Le deuxième cas de figure, c’est lorsqu’on ne connaît pas la technique et que l’on sent que à force de chercher, on obtient autant d’inconfort que face à notre problème. Par exemple, j’ai peur en escalade, je me torture les méninges pour comprendre pourquoi j’ai peur et ça me rend encore plus inconfortable puisque je m’en veux, je culpabilise d’avoir peur, je me dis que je suis nul, je me dis que je dois changer de sport. Bref, la simple recherche ne fait qu’empirer les choses. A ce moment-là, c’est intéressant d’avoir un guide. Et le préparateur mental va être un peu comme un guide pour sortir de cette pénombre mentale.

Un conseil, un truc à tester au prochain entraînement ?

Pour moi ça reste l’utilisation de votre pensée. On estime que nous avons tous entre 60 000 et 80 000 pensées par jour. On a donc tous plein de pensées qui viennent grimper avec nous. Certaines pensées n’ont rien à faire sur le mur avec nous. D’autres par contre seraient beaucoup plus intéressantes. Quand on grimpe, on choisit nos prises, on choisit nos placements sur le mur, et bien souvent on ne choisit pas ses pensées, alors que nous devrions en être maîtres.
Essayez de réinvestir cette partie-là de votre entraînement : « OK, à ce moment-là quand je prends cette prise-là, je veux cette pensée-là ».
Réinvestir l’aspect cognitif de l’escalade, c’est réinvestir ce qui se passe dans notre tête pour que ce soit en harmonie avec notre corps. Je vous invite à faire ça lors de votre prochaine séance, à vous demander quelles pensées vous sont utiles et quelles sont celles qui ne le sont pas. C’est la première étape.

La deuxième étape, c’est lors de votre lecture d’un bloc ou d’une voie, y assimiler les pensées utiles, une ou deux seulement, que vous aimeriez avoir et les programmer lors de votre lecture.

Enfin, la troisième, parce que vous avez fait les deux étapes précédentes et que ça a bien marché : félicitez-vous parce que vous avez le droit à avoir un peu de satisfaction pour faire gonfler votre envie de recommencer et continuer de grimper.

"Certaines pensées n'ont rien à faire sur le mur avec nous."

Un dernier mot pour la fin ?

L’escalade est certainement, pour moi, l’un des plus beaux sports du monde mais c’est aussi un des plus « mental ». Déjà, parce que c’est un des rares sports qui donnent un moment à l’aspect mental dans la chorégraphie qu’est la performance. Ce moment-là, c’est la lecture.

Pendant qu’on est en train de lire, on se prépare mentalement. Potentiellement, on se prépare mal si on se prépare à chuter, si on se prépare à galérer, si on se prépare à ralentir. Nous sommes notre premier préparateur mental et l’escalade nous le rappelle à chaque fois. Parfois, nos émotions prennent le dessus. Et c’est aussi pour ça qu’on continue de grimper, pour continuer à mieux se connaître, mieux connaître nos émotions, mieux les gérer et continuer d’aller vers le haut.

Donc tout ce que je vous souhaite, c’est de mieux vous connaître à travers la préparation mentale puisque c’est ça qu’elle propose tout autant que l’escalade. Quel que soit votre sommet, je vous souhaite de l’atteindre.

Merci Jonathan !

  • Jonathan intervient également dans le programme SOLIDE associant nutrition, entraînement et préparation mentale pour les grimpeurs :
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